Laurent Bonnevay a pitié de la foule…
Humaniste engagé du début du XXe siècle, Laurent Bonnevay, né à saint-Didier-au-Mont-d’Or en 1870, ministre, député, président du Conseil Général du Rhône, a pitié de la foule…
Pitié de celle des viticulteurs
C’est un vigneron du Beaujolais, interviewé par mes soins, qui me le présente en ces termes :
– C’est pas parce que j’passe mon temps dans mes vignes que je suis plus bête qu’un autre, vous savez ! Moi, mon père m’a toujours dit : Bonnevay, c’est lui qu’a fait planter des Douglas dans l’Beaujolais !
– Vous êtes sûr ? Je pensais que ça remontait au XIXe siècle, un comte de Sablon qui était alors maire de Claveisolles…
– C’est ça, mais le comte y les plante sur ses terres les Douglas alors que Bonnevay, conseiller général, profite de son mandat pour aider les vignerons !
– En plantant des résineux ?
– Ah ça oui, il pouvait bien manger dans d’la porcelaine l’Bonnevay, il faisait tout pour nous y la faciliter, la vie ! vous savez vous, le pire fléau du viticulteur, c’est quoi ? La grêle, m’dame, parfaitement. Cette gredine qui vous dévaste toutes vos parcelles en un éclair !…
– Certes, mais quel rapport entre la grêle et les Douglas ?
– « Qui plante un sapin dans la montagne protège un cep dans la plaine », qu’y disait l’Bonnevay, et ces sapins v’nus du grand Nord américain, y sont géants et sombres, très sombres… alors y refroidissent l’air… donc la grêle tombe là, sur les bois plutôt que sur la vigne…. C’est pas malin ça ? mais qui s’en souvient aujourd’hui, hein, que l’Bonnevay y a beaucoup fait pour nous ! Y a même un d’ces géants qui pousse là-haut dans les bois, son Douglas, y porte son nom, mais qui saurait encore y aller ? Y sont pourtant les plus hauts, les plus beaux de toute l’Europe, mettez-y dans vot’ papier, une honte que ces gens qu’ont pas d’mémoire !
Pitié des miséreux
Un si grand homme ! Et dévoué avec ça ! Comme j’y ai déjà dit, p’t ête un bourgeois, l’Bonnevay, n’empêche que grâce à lui et j’vous parle d’ça, c’est juste avant la Grande Guerre, y est député, alors il y met à l’abri ceux d’la misère… Oh évidemment aujourd’hui tout l’monde il a l’eau courante sur l’évier mais à cett époque ils y vivent tous dans des taudis, sans les cabinets, cte malheur ! Alors vous pensez, une salle de bain, c’est du grand luxe ! L’hygiène à l’époque, on n’y connaît pas…
– Oui, c’est l’émergence du confort en quelque sorte…
– Confort, confort, il était temps, à l’époque, c’est dans not beau pays qu’on meurt le plus! Alors commencent à pousser des immeubles à bon marché. Aujourd’hui y zi appellent l’OPAC ou HLM, que j’y crois…Avec leurs noms remplis d’majuscules, on y comprend peu grand-chose !
– Ah ça, vous m’en apprenez des choses… moi qui associais simplement son nom au boulevard de ceinture…
– Oh le périphe qu’vous voulez dire, ehhh !… c’est qu’le périphe, c’était l’aventure, une aventure humaine, tiens ! Y’a des fortifications au S-E de la ville, du XVIIIe qu’y disait l’Bonnevay, il y élève une digue qu’il recouvre d’une chaussée, et v’là l’tour qu’est joué ! Il fait d’une pierre deux coups : il a sa route et elle y stoppe le Rhône, quand il lui prend l’envie de déborder à Villeurbanne ou là-haut aux Brotteaux !
Pitié des sans-emploi
– Cet homme sait décidément tout faire ! J’ai lu du reste qu’en 1928, le chômage, qui gangrène déjà le pays, conduit des ouvriers, par milliers, à la soupe populaire…
– Là aussi, mon père m’a toujours dit : Bonnevay, c’est un bienfaiteur ! Contre d’la soupe, des milliers d’hommes s’relèvent les manches pour bâtir la première autoroute de France, oui la première, ici à Lyon ! Vue plongeante garantie depuis sa station de métro sur une circulation ininterrompue – les statistiques, y zi parlent de 150 000 véhicules par jour. Ah j’voudrais bien savoir qui, d’ceux qui empruntent le périphe ou l’métro, savent qui était ce grand homme !