Là où il y a de la haine, que je mette l’amour*
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Ouah, qu’est-ce qu’elle brille la façade ! Faut dire qu’elle avait besoin d’un bon décrassage, cette église !
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Ah ça oui ! qu’est-ce qu’elle a été négligée, la pauvre ! C’est insensé, quand on pense qu’à l’époque de Bonaventure, elle était trop petite pour accueillir toute la foule amassée venue pleurer sa disparition…
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Bonaventure ? c’est une blague !
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Attention à ne point blasphémer mon fils ! C’est François qui s’écrie, en voyant son disciple malade : « O buona ventura! »
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François ?
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Oui, François, le riche drapier d’Assise qui, renonçant au monde matériel, fonde l’ordre des moines mendiants qui portent son nom, les Franciscains ; il se pare alors d’une bure… une tunique en forme de croix coupée dans une étoffe rêche avec pour toute ceinture une corde… Tu comprends mon fils ?
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Euh… une corde ?
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Parfaitement, une corde, le symbole du dénuement…mais pas n’importe quelle corde, une corde à nœuds…
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A nœuds ?
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Oui, à nœuds. Vas mon fils, au Musée des Beaux Arts, le Louvre lyonnais… Pars tel le pèlerin du Moyen Âge, franchis le seuil du lieu sacré des peintres du grand siècle… Tu ne vas pas en croire tes yeux : il y a là une représentation saisissante de ce saint, ce passeur de joie, qui consacre sa vie aux lépreux et autres démunis. C’est le peintre Zurbaran, grand mystique de l’âge d’or espagnol qui le représente dans un tableau tout en ombre et hallucination, une œuvre habitée de mystère. C’est comme une apparition, mon fils…attends-toi à être frappé, à découvrir le petit pauvre, en extase, les yeux révulsés, tournés vers le ciel, oui le ciel, bien sûr, le ciel ! Quoi d’autre que le ciel ? Un détail ? Il veille, dans la sombre éternité, l’âme sur son sein, tranquille… Un autre ? A la taille, il porte cette corde… et ses nœuds… Oui, mon fils, cette corde qu’il porte en guise de ceinture est nouée des vœux de son ordre qu’il fonde en 1223, note bien mon fils : pauvreté, chasteté, obéissance.
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Mon père, sans votre parole, jamais je n’aurais pu saisir ce symbole !
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Mon fils, c’est cette corde qui donne son nom à l’ordre de ces frères mendiants, les Cordeliers, repérés par Saint Louis pour leur courage lors de la croisade de 1250…
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Et je parie que le quartier s’appelle ainsi en raison de la présence d’un couvent habité alors par ces moines mendiants…
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Alléluia ! D’ailleurs c’est assez cocasse de constater qu’au Moyen-Âge le lieu abritait de pauvres moines vivant de la charité publique et qu’aujourd’hui le quartier, coeur battant de la Presqu’île, a vendu son âme au commerce !
Mon fils, sais-tu que le couvent fut, comme tant d’autres à Lyon détruit par les révolutionnaires ? Imagine : ceux de la Convention se servent de l’église comme grenier à grains, quel sacrilège ! C’est le cardinal Fesch, l’oncle de Napoléon qui lui sauve la vie, quand il devient archevêque de la ville. Oui, c’est lui qui lui attribue sa façade…
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Qui avait bien besoin d’être ravalée !
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Amen !
- * prière de saint François d’Assise :