Isabelle

Qui se cache derrière le nom des stations de métro de Lyon : Perrache

A quelques jours du printemps, il semblerait que l’on soit enfin sur le point de pouvoir tomber les masques ! Ouf ! Nez à l’air et bouches couleur cerise, prenons la direction de la station Perrache, terminus de la ligne de métro A.

Mais qui est donc cette voix qui nous parle ?

– Ah le centre Perrache ! Quand je pense que mon nom est associé à cette verrue urbaine ! Moi qui, dès le XVIIIe, cherche à gagner sur le fleuve des terrains à construire, Lyon étouffant dans ses enceintes historiques. Mon idée : prolonger la Presqu’île au sud d’Ainay sur 2.5 km… Géniale, non ? Non ! On argue qu’il va falloir des décennies de remblayage avant que les marécages ne deviennent véritablement constructibles…

Le quartier de la Confluence en devenir 2003-2018
Le quartier de la Confluence en devenir 2003-2018

Au même moment, ce coquin de Morand trace les plans d’urbanisation du quartier des Brotteaux ; son projet, parce que quadrillé, est révolutionnaire. Il remporte un tel succès qu’il éclipse le mien. Le temps passe, je disparais, soulagé d’avoir évité la révolution française ; arrive le XIXe siècle et sa révolution, industrielle celle-là, qui glorifie entre autres le chemin de fer. Saviez-vous que la 1ère ligne tracée en France l’est ici même, à Lyon, qui relie en 1832 St Etienne, convoitée pour son charbon ?

Jean-Antoine Morand ingénieur, architecte, urbaniste et promoteur des Lumières
Jean-Antoine Morand ingénieur, architecte, urbaniste et promoteur des Lumières

A cause du dénivelé entre le Rhône & la Saône, les voies sont construites en hauteur, sur des voûtes.

La conséquence ? Une gare qui se dresse comme une barrière en travers de la Presqu’île. Voilà mon cher projet d’extension du centre-ville complètement contrecarré !

C’est ainsi que mon quartier bien aimé se transforme en banlieue mal famée… on y relègue tout ce dont la ville ne veut pas : prisons, abattoirs, gare de triage, industries polluantes, prostitution…

Les Lyonnais, méprisants, tournent le dos à ce quartier qu’ils désignent désormais « au-delà des voûtes ».

Prison Saint-Paul reconvertie en campus pour l'Université catholique 2013de Lyon
Prison Saint-Paul reconvertie en campus pour l’Université catholique de Lyon 2013

Plus tard, au début des années 70, comme pour en rajouter une couche, le percement du tunnel de Fourvière fait déboucher l’autoroute du soleil, l’A6 à proximité immédiate de la gare. Un centre d’échanges y est construit, sorte de laideur « bunkérisée », qui vient accentuer la coupure avec le reste de la Presqu’île.

C’est Raymond Barre, le brave homme, alors maire de la ville, qui reprend mon projet en 2000. Quel défi : 150 ha de friches industrielles à transformer en vitrine de la ville du XXIe siècle, bâtis sous le signe de la haute qualité environnementale et de la mixité citoyenne. Ce chantier, considéré comme l’un des plus grands d’Europe, s’est décliné en 4 grandes phases. Le voyant aujourd’hui quasiment achevé, je nourris l’espoir qu’un de ses bâtiments à l’architecture renversante aura la bonne idée de porter mon nom. Moi, sieur Antoine-Michel Perrache, sculpteur-ingénieur-promoteur des Lumières, je trouverais enfin ma place en ce lieu éminemment symbolique, à la rencontre des deux fleuves, la Confluence…

Confluence, là où ville et nature se conjuguent
Confluence, là où ville et nature se conjuguent
Ampère le père de l'électricité

Qui se cache derrière le nom des stations de métro de Lyon : Ampère-Victor Hugo

Une saison touristique plus tard, le virus, toujours là, joue avec nos nerfs, passant d’un variant à un autre… Nous faudra-t-il apprendre l’alphabet grec en entier ?

Profitons-en pour nous balader en ville, masqués jusqu’au nez, bien sûr, et arrêtons-nous à la station AmpèreVictor Hugo se souvient de celui qui inventa le vocabulaire de l’électricité…

Trompe l’oeil, rue Ampère à Villefranche sur Saône

Dans la collection « Choses Vécues », Hugo se souvient d’Ampère :

 

Hier de ce mois de février, je vais par la montagne, je vais par la forêt ! Ô les monts d’or, ces bois sauvages, j’y trouve mon souffle, un rivage ! Il fait beau mais très froid et  je le croise, là, devant la maison paternelle de Poleymieux. Il a 27 ans, il part pour la Bresse… Il est grand, ses yeux gris sont tout écarquillés, prêt qu’il est à dévorer le monde… A Bourg, le voilà qui professe la physique. Ah ça, ça lui fait tout drôle d’enseigner, lui qui n’a jamais été à l’école ! Son père, Jean-Jacques l’éclairé, en fait  son « Emile », selon les préceptes rousseauistes alors très en vogue.  Il gagne aux côtés de ce père-philosophe son latin et se plonge avidement dans l’Encyclopédie et le Dictionnaire de Trévoux.

Fresque Hôtel des Postes – Louis Bouquet 1937

« Savoir étant sublime, apprendre sera doux », c’est bien ce que je prophétisais A Propos d’Horace… Cette citation lui sied à merveille ! Il a vraiment la lumière à tous les étages : il présente à 13 ans à l’Académie des Sciences, Belles Lettres et Arts de Lyon un mémoire sur la quadrature du cercle ! Du haut de leurs sphères, les savants, impressionnés, parlent de brillance, de flammes célestes, de cellules grises en ébullition, d’un esprit générateur d’étincelles, de fulgurances.

Son aspect est quelque peu rustique, son menton fourchu ? Qu’importe, il y a cette femme, Julie, son Esméralda, son soleil… Ses cheveux sont or, ses yeux azur…Bien rangées dans leur carquois, les flèches de Cupidon piaffent d’impatience ; l’une d’elle, tel l’éclair, foudroie le cœur du grand savant. Amour fou, flamboyant, fatal… Julie malade, se meurt, André-Marie, misérable, se morfond… Pour oublier, il se galvanise au travail… le voilà qui théorise l’électromagnétisme. C’est en lisant sa fameuse «Classification des Sciences » que je reconnais en lui un humaniste, du XIXe… Humaniste romantique, constamment tourmenté, dévoré par son obsession de découvrir, il implore régulièrement son ami  Claude-Julien Bredin, directeur de l’école vétérinaire de Lyon, en ces termes : « Je ne trouve que des vérités. Enseigne-moi la Vérité » !

L’ampère

Hélas, mille fois hélas, à trop chercher, il se perd : ce surrégime le mène implacablement à l’épuisement, après avoir accouché d’une œuvre gigantesque.

Je me souviens, c’était en 1881, mon Dieu que j’étais  bien vieux déjà… j’écris son nom dans mon petit cahier ; oui, c’est officiel, l’ampère est choisi à l’échelle mondiale comme unité d’intensité du courant électrique. Vous parlez d’un événement ! Peu nombreux sont ceux qui ont droit à l’onomastisme* !

Peu après, au cours de mes Contemplations, je le rencontre, figé sur une place, la sienne ; assis sur son socle, insaisissable, tout irrigué de formules. C’est la ville de Lyon qui glorifie son illustre fils, le Newton de l’électricité !

Statue-dAndre-Marie-Ampere-place-Ampere-Lyon-2e-metro-Ampere-Victor-Hugo
Statue-dAndre-Marie-Ampere-place-Ampere-Lyon-2e-metro-Ampere-Victor-Hugo

*onomastisme : du grec nommer, est un mot entré dans le langage courant qui trouve son origine dans un patronyme

 

statue équestre de Louis XIV place Bellecour

Qui se cache derrière le nom des stations de métro de Lyon : Bellecour ?

« Sans vous, nos monuments seraient muets » : ainsi s’adressait Stéphane Bern aux guides-conférenciers au début de la crise sanitaire, en signe de solidarité.
Quelques mois plus tard, toujours confinés, j’ai imaginé offrir un bol d’oxygène aux Lyonnais et autres touristes reclus en donnant la parole à certains lieux & monuments emblématiques de la capitale des Trois Gaules. Pour fil conducteur, je me suis inspirée du fameux Métronome de Lorant Deutsch en suivant les noms des stations du métro lyonnais.

La place Bellecour, kilomètre zéro de la ville, se devait d’être le lieu de départ de cette odyssée ! Ecoutons ce qu’elle a à nous dire…

Une grande dame, Mme Bellecour, raconte :

– Moi, Bellecour, je ne suis pas seulement la vedette de cette ville, je suis également une des plus grandes places d’Europe ! Rendez-vous compte, je couvre pratiquement 6 ha à moi toute seule ! Oh bien sûr, il m’en a fallu du temps pour peaufiner ma silhouette et j’en ai porté bien des noms avant celui-ci… En effet, au commencement est le forum romain, véritable acropole qui trône fièrement sur le haut de Fourvière où vivent les habitants de Lugdunum. A l’époque, je ne suis qu’un embryon d’île balloté par le fleuve, un vaste marécage que les Romains, avec le génie qui les caractérise, assèchent pour y installer leurs entrepôts.

Au cœur du Moyen-Âge, l’archevêque donne libre cours à ma nature en y plantant une vigne à l’abri de clôtures. Me voilà « Bella Curtis », le beau jardin où paissent par la suite des moutons, chassés en 1562 par les soldats Réformés du Baron des Adrets. Voilà que ce dernier s’installe chez moi en y dressant son camp retranché…

Bellecour est Bella Curtis au Moyen-Âge

Le bon roi Henri IV, Dieu soit loué, remet un peu d’ordre dans ce terrible carnage… je recouvre ma liberté jusqu’à l’entrée en scène de Louis, le Grand, l’éblouissant, que je séduis en un tour de main… ou presque, épris qu’il est de la belle Marie Mancini, nièce de Mazarin… Qu’à cela ne tienne, je redouble de charme et finis par l’emporter : le monarque m’honore en me décernant le titre de Place Royale ; me voilà devenue le miroir de la grandeur militaire, politique, divine de sa Majesté… au point que très vite je m’enorgueillis d’une statue qui le glorifie, suffisant, sur son cheval. Quelle classe ! En profitent pour se dresser tout autour de moi des édifices aux façades à l’antique dessinées par son architecte favori, un certain Robert de Cotte.

Henri IV et Louis XIV

Ah j’en vois passer du beau linge ! Par exemple en 1804 le pape, Pie VII en personne, qui s’en va à Paris sacrer Napoléon, à reculons, il faut bien le dire.

Hélas, avant lui ma ville est jugée rebelle par la Convention… les révolutionnaires m’affublent d’un autel de la liberté. « Fédération, elle s’appelle maintenant Fédération-on-on* », chantaient-ils tous en cœur alors qu’ils installaient sur mes terres une guillotine… quand je pense à toutes ces têtes qui sur mon corps ont roulé, j’en frémis encore ! Durant le terrible siège de 1793, l’Egalité mène à la destruction de la statue du grand-Louis ainsi qu’à celle des façades de tous les immeubles érigés sur mon côté est/ouest ! Si vous m’aviez vue alors, je n’étais plus qu’un amas de ruines ! Lyon n’est plus… parce Lyon, vous l’avez compris, c’est moi ! Oui, moi, le cœur battant de la ville !

Que les dieux bénissent le grand Général, qui, dès son retour de Marengo, triomphateur, s’est approché et a posé sur mes blessures la première pierre réparatrice… Qu’est-ce que j’ai pu crâner en portant, pour trop peu de temps hélas, le nom de Bonaparte. Avec l’échec des Cent Jours, le pays s’en est retourné à la monarchie… et le roi soleil en mon sein, représenté tel un empereur romain à cru sous le burin de Lémot, celui-là même qui avait, auparavant, installé Henri IV, cette fois avec des étriers,  sur le Pont Neuf . Figurez-vous que lors de la pose de cette sculpture, il fait une mauvaise chute qui le mène quelques années plus tard à la mort.

Allégorie de la Saône au pied de la statue équestre représentant Louis XIV à l’antique

Mais revenons à nos moutons, ou plutôt au cheval de Louis XIV, dont le socle était orné jusqu’à il y a peu, de la présence des deux grandes gloires locales, vous savez, celles qui me serrent bien à la taille, le Rhône et la Saône. Vous les avez vues, sublimement allégorisées par les frères Coustou. On me les a enlevées, vous entendez, enlevées ! Apriori, elles avaient besoin d’un bon toilettage… Bon, je veux bien l’admettre, mais va-t-on me les rendre ? On chuchote déjà qu’elles seraient remplacées par des copies, les originaux conservés au musée des Beaux-Arts… Dites-moi qu’il n’en est rien, sinon, quand les Lyonnais vont lancer leur cri de ralliement : « on se retrouve sous la queue du cheval », j’aurais l’air de quoi moi ?

 

*à chanter sur l’air de Conception Robert Charlebois